Illustratrice de couverture chez Marvel depuis quinze ans et dessinatrice sur de nombreux comics, notamment la remarquée et récompensée série DIE (2018-2021), Stéphanie Hans a signé l’affiche de la 25e édition du festival de science-fiction Les Utopiales alors qu’une exposition rendait hommage à son œuvre. Pour Grabuge, elle revient sur sa carrière.
D’où est venue votre vocation pour le dessin et la BD ?
Ce n’est pas vraiment une question de vocation car tous les enfants aiment dessiner. Après, effectivement, quand tu passes 11 heures par jour à dessiner, autant en faire ton métier, mais la BD, j’y suis arrivée plus tardivement. J’ai grandi dans un petit village de Moselle, à Moyeuvre-Grande, dans lequel il n’y avait pas trop d’accès à la culture, donc j’ai lu principalement Tintin, Astérix, Les 4 As et surtout Yoko Tsuno que j’adore. Il y avait aussi les Strange qu’achetait mon père, mais pour moi, ce n’était pas des trucs d’adultes, et je voulais surtout faire de l’illustration élégante. Puis quand j’étais à la fac d’arts plastiques à Strasbourg, ma coloc, qui était passionnée de BD, m’a dit que mon dessin était fait pour la BD. J’ai ensuite eu un coup de cœur pour Calvin et Hobbes et Les Compagnons du crépuscule et je me suis dit que je voulais faire la même chose.
Avant de travailler dans le milieu des comics, vous avez d’abord publié des BD franco-belges.
Oui, j’ai publié une première série Galathéa en 2005 qui a été abandonnée après deux tomes. C’était une expérience mitigée, mais la couverture a été remarquée par Hachette qui m’a contactée pour réaliser des couvertures pour des livres pour enfants. Puis j’ai travaillé pour d’autres éditeurs jeunesse comme Rageot et Syros. J’étais bien mieux payée que pour de la BD. La BD reste un milieu compliqué et précaire. 30 % des auteurs sont sous le seuil de pauvreté.
Et comment avez-vous commencé à travailler pour Marvel ?
C’est grâce à Olivier Jalabert et à C.B. Cebulski (le rédacteur en chef de Marvel Comics depuis 2017, N.D.L.R.), qui, à l’époque, était recruteur international chez Marvel. En 2009, il m’a commandé une couverture pour Firestar à rendre en deux semaines, c’était un vrai challenge. Cette couverture a été très remarquée et, depuis, cela fait 15 ans que Marvel me commande des couvertures.
Vous faites à la fois des couvertures officielles et alternatives, quelle est la différence ?
Les couvertures officielles sont liées à l’histoire, alors que les “variant covers” sont plus libres à dessiner et destinées avant tout aux collectionneurs. En France, vous n’avez que les histoires terminées à l’achat, mais aux États-Unis, chaque chapitre d’une histoire sort individuellement en librairie et, pour chaque chapitre, il peut y avoir trois à neuf couvertures alternatives qui vont être achetées par des collectionneurs.
Comment expliquez-vous l’appétence de Marvel pour les dessinateurs étrangers ?
Marvel est toujours à la recherche de fraîcheur et va donc chercher de nouvelles voix partout dans le monde. C.B. Cebulski a l’habitude de dire : “Si quelqu’un sait dessiner dans un pays, je vais le trouver.” Dernièrement, c’est lui qui a lancé Peach Momoko, une dessinatrice japonaise qui cartonne en ce moment avec Stormbreakers, un univers pour lequel elle a carte blanche.
Vous travaillez pour d’autres éditeurs de comics, vous êtes plutôt DC ou Marvel ?
Je préfère Marvel car leurs histoires sont toujours connectées à la réalité. Par exemple, quand les tours jumelles sont tombées, elles sont aussi tombées dans les comics, car les super-héros ne peuvent pas tout empêcher. DC se déroule avant tout dans un univers fictif qui me parle moins, mais c’est vrai que leurs “one shots” sont meilleurs. J’aurais rêvé de travailler sur Superman: Red Son ou sur The Dark Knight Returns comme tout le monde.
Quel est le personnage sur lequel vous avez préféré travailler ?
J’aime bien Kid Loki, une réincarnation du personnage qui a été lancée il y a une quinzaine d’années. C’est un personnage attachant, à la fois comique et tragique, car tout le monde se doute qu’il va mal tourner en grandissant. Il y a aussi Angela, la sœur de Thor et Loki, une chasseuse de primes qui a une histoire d’amour avec Sera, le premier personnage trans de Marvel. C’est une belle histoire, très épique. Les lecteurs ont beaucoup aimé.
Qui dit super-héros, dit costume. Quel est le secret d’un bon costume ?
Je suis passionnée de couture, donc j’aime bien les costumes logiques. Souvent, les héroïnes portent un justaucorps, mais à chaque fois je me demande où sont les coutures ? Donc j’essaie de faire attention à ça, même si, malgré tout, je reçois des lettres de cosplayers mécontents car ils ne comprennent pas comment marche le costume.
En plus des super-héros, vous êtes connue pour la série DIE avec le scénariste Kieron Gillen. Comment s’est passée cette collaboration ?
Kieron a un style plutôt littéraire, il me fournit quelques notes, mais ses descriptions sont toujours ouvertes. Il ne me fournit jamais de storyboard. Une fois, il m’avait envoyé un gaufrier de 9 cases pour une planche, mais je lui ai rendu quelque chose qui n’avait finalement rien à voir (rires). On est chacun dans notre domaine, et on se nourrit l’un et l’autre. Les thèmes de la série DIE sont liés à nos propres expériences, comme le fait que Kieron soit devenu père et que j’ai perdu le mien durant l’écriture de l’histoire. Même si c’est un récit de fantasy (un groupe d’amis se retrouve propulsé dans le monde du jeu de rôle auquel ils étaient en train de jouer, N.D.L.R), c’est un travail très personnel en réalité. On travaille en ce moment même sur la suite.
Vous pourriez retravailler sur du franco-belge ?
Non, je n’ai pas envie. Après, faut jamais dire jamais. Si Trump décide d’interdire les travailleurs étrangers, effectivement, je n’aurais pas trop le choix. Mais non, c’est trop dur de vendre de la BD en France, il y a trop de sorties. Après, si on me propose de reprendre Yoko Tsuno, je pourrais me laisser tenter…
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NICOLAS BAUDRILLER
