Technicienne intermittente, Manon Arigot écume les salles de concerts parisiennes et vit enfin de sa passion depuis la sortie du Covid-19. Beyoncé, Metallica, Shaka Ponk… Elle travaille pour les plus grands dans les Zénith, Stade de France, Accor Arena et autres Bataclan.
La vie de Manon est rythmée par les concerts depuis qu’elle est en âge de s’y rendre. Au départ, elle n’envisage pas cette voie professionnelle. Après un long parcours et beaucoup de persévérance, Manon devient technicienne et backlineuse. Concrètement, elle décharge les camions et monte la scène : elle installe les instruments et amplis, règle les micros, participe aux lumières avant de tout démonter en fin de concert.
« Je n’arrivais pas à me satisfaire d’un CDI »
Après des études en Histoire de l’art, Manon commence à travailler comme assistante administrative mais n’est pas franchement convaincue : « je ne savais pas trop ce que je voulais faire, je n’arrivais pas à me satisfaire d’un CDI… Mais il fallait bien avoir de quoi payer mes places de concerts ! Avant d’accepter un poste, je me demandais toujours si j’allais être assez disponible pour bosser sur les concerts à côté, ou pour voyager pour aller voir tel ou tel groupe ». Dès la journée de travail terminée, elle court voir des concerts de métal et y travaille dans le merchandising, d’abord comme bénévole pour les groupes contre « un t-shirt gratuit » puis pour des salles un peu plus conséquentes. « Au départ, j’essayais de me placer sur les concerts que je voulais voir : Iron Maiden, U2… ». Avec Kylie Minogue ou Katy Perry, qu’elle ne serait pas allée voir par elle-même, elle commence à s’ouvrir à d’autres univers… De plus en plus proche de l’envers du décor, Manon découvre les métiers techniques et commence à les envisager pour la suite de sa carrière.
« J’ai longtemps pensé que ça n’était qu’une passion, que je ne pouvais pas en vivre »
Depuis qu’elle a obtenu le statut d’intermittente du spectacle, la vie professionnelle de Manon n’a finalement jamais été aussi stable : « c’est la première fois que je ne cherche pas à changer de boulot et que je m’épanouis autant. Je ne suis pas du genre à rester sur un poste qui m’ennuie… Dans mon travail actuel, ça ne m’est encore jamais arrivé ! ». Il lui aura pourtant fallu des années pour en arriver là : « je n’avais pas assez de contacts pour bosser dans la technique à temps plein, on me disait que c’était pas pour moi, que ce n’était pas viable… pendant longtemps, j’ai pensé que ce n’était qu’une passion et que je ne pouvais pas en vivre ». Après des années passées dans les salles parisiennes, Manon fait les bonnes rencontres et commence à travailler sur des dates, cette fois du côté technique. Elle commence par Drake à Bercy en 2019. « Mon atout de départ, c’était de bien parler anglais. Pour le reste, j’ai appris en regardant les autres travailler, et en faisant aussi, directement dans le feu de l’action ! J’ai travaillé dur, mais comme je bossais bien, on m’a rappelée ». Si elle conserve son job d’assistante dans un premier temps, le Covid change la donne : « beaucoup de personnes ont arrêté l’intermittence, ça a renouvelé les équipes. Ça m’a donné ma chance ! ».
« Il faut persévérer et oser demander du travail »
« Au début, j’avais ce cliché en tête : c’est un milieu d’hommes, je n’y ai pas ma place ». Sur la route, Manon essuie quelques mauvaises réflexions : « une nana n’a pas sa place dans un camion », « vous ne savez pas porter des choses lourdes »… « Ça m’est déjà arrivé d’avoir à faire à des hommes qui ne savent pas travailler avec des femmes… Heureusement, c’est plutôt rare, et ça l’est de plus en plus d’ailleurs ». Certaines productions recherchent des techniciennes pour équilibrer les équipes, comme celle de Shaka Ponk : « c’est la première fois qu’on m’appelle pour travailler sur une date six mois avant ! ». Elle le retient en revanche : les femmes ont toujours plus à démontrer. « J’ai rencontré la nana qui faisait la lumière de Billie Eilish, elle abat le travail de trois personnes ! On n’a pas le droit à l’erreur, sinon on nous renvoie vite à notre genre. Il faut souvent montrer que l’on mérite notre place. Et on l’a ! Il faut persévérer et oser demander du travail ». Entre techniciennes, la solidarité est de mise : « dès que je peux recommander une fille qui n’a pas beaucoup de contacts, je le fais, j’essaie de rendre la pareille. Bien sûr, il faut quand même faire ses preuves ».
« Travailler pour Green Day ou Metallica me donne de la crédibilité auprès de ma famille »
En quatre ans de métier, Manon a eu l’occasion de travailler pour les plus grands : Metallica, Beyoncé, Bruce Springsteen, Green Day… « auprès de ma famille, cela me donne plus de crédibilité qu’un groupe de black métal norvégien ! Quand j’étais ado, j’écoutais Metallica tous les jours, aujourd’hui j’ai eu la chance de travailler pour eux ». La plus grosse claque de l’année ? « Beyoncé ! J’ai vu toutes les répétitions, aidé à la préparation… C’est incroyable de travailler pour quelqu’un d’aussi minutieux. On passe du temps pour chaque détail, chaque réglage. Quand on voit le résultat en live, on sait que ça valait le coup ». Sur le concert de Bruce Springsteen, elle apprend la « poursuite » : « c’est quand on suit l’artiste avec les spots de lumière. Je n’en avais jamais fait, j’ai appris trente minutes avant le début du concert ! ».
Ces dates font rêver, mais Manon apprécie aussi les plus petites salles : « avec des équipes à taille humaine. On nous donne plus de responsabilités, c’est une preuve de confiance ! Finalement, ça m’a pris plus de temps d’obtenir ces dates-là, comme celle de Halestorm à la Cigale ». À 37 ans et après des années de formation sur le tas, Manon peut enfin se féliciter de vivre d’une passion qui l’anime depuis toujours. Aujourd’hui, elle choisit les dates sur lesquelles elle travaille et continue à se projeter dans sa carrière : « parfois je me pose des questions, l’équilibre pro/perso est difficile à trouver, le métier peut être dangereux… mais la passion reprend toujours le dessus ! ».
PORTRAIT RÉALISÉ PAR LOUISE PLESSIER, Tracass Asso et Le Ferrailleur dans le cadre du festival More Women On Stage & Backstage à Nantes, grâce au soutien de M45T, E.leclerc Clisson, Hurricane Music, Filling Distribution, Constant Bourgeois, Mstream et la Ville de Nantes.