Après six ans d’attente, Platane revient sur Canal+. Encore plus transgressive, burlesque et « expérimentale » que ses deux précédentes saisons, la série termine définitivement d’imposer Eric Judor comme le fer de lance d’un humour trop rare en France. Rencontre avec l’acteur-réalisateur-auteur “de niche” le plus connu de l’Hexagone.
Pourquoi six ans d’écart entre la saison 2 de Platane et cette nouvelle fournée d’épisodes ?
J’ai réalisé deux films entre-temps (La Tour de Contrôle Infernale et Problemos), et Canal+ hésitait à renouveler la série après les audiences décevantes de la deuxième saison. Heureusement, le bouche à oreille positif a poussé la chaîne à relancer la série.
Comment expliquez-vous que vos films et séries sont parfois compris longtemps après leur sortie ?
Pas « parfois », tout le temps. On commence juste à me parler de Problemos deux ans après sa sortie. Donc en 2023, on me parlera de la saison 3 de Platane (rires).
Écrire une série après une saison qui n’a pas fonctionné auprès du grand public constitue-t-il une pression pour vous ou une libération ?
Je ne réfléchis pas en terme d’audience ou de succès lorsque j’écris. Depuis le film Steak (de Quentin Dupieux), on pense à tort que j’ai voulu m’acheter une étiquette « auteurisante », mais j’écris juste des choses qui me font exploser de rire. C’était le cas pour La Tour Montparnasse Infernale qui a cartonné et aussi pour sa suite que le public a rejetée, mais que personnellement j’adore. Je sais que Platane est attendu par les fans, la seule pression que j’ai, c’est celle de ne pas les décevoir.
Pourquoi votre humour a-t-il autant d’adeptes, mais atteint moins le grand public ?
J’ai aujourd’hui compris que lorsqu’on a un style prononcé, on laisse forcément des gens sur le bord de la route. Je préfère faire exploser de rire peu de personnes avec des vrais partis pris plutôt que de faire doucement sourire tout le monde. Heureusement, j’ai assez de public pour continuer à créer. Mon humour est une niche, j’utilise les silences, les moments de gêne et puis je fais des blagues autour de sujets « limites » comme le nazisme, le racisme ou la misogynie dans un monde où l’on s’offusque de tout. Pour moi, l’humour c’est bousculer les conventions. Je ne parle même pas de transgression, mais seulement de jouer avec les limites.
Comme cette vidéo de vous et Ramzy, lors d’une avant-première à Saint-Nazaire où vous vanniez la tristesse de la ville ?
Oui, c’était juste de l’humour, mais certains chevaliers blancs d’internet ont transformé ça en cliché du riche citadin contre le peuple de province. Ça a pris des proportions grotesques, voire comiques. Aujourd’hui, on fait un métier à risques (rires) !
D’ailleurs, faire du rire votre métier était un « plan de secours » si je ne m’abuse…
J’ai toujours eu de l’humour, mais cela restait un truc pratique pour draguer… Je voulais effectivement devenir tennisman professionnel. Ça va paraître très prétentieux, mais je me suis toujours dit « si je n’y arrive pas, au pire, je fais comique et ça marchera » (rires). C’est ce qui s’est passé après ma rencontre avec Ramzy.
D’ailleurs Ramzy est présent dans chaque saison de Platane. Est-ce important de l’intégrer dans ce que vous faites ?
Ramzy et moi, c’est une histoire profonde et incompréhensible, car nous sommes très différents l’un de l’autre. Mais lorsqu’on est ensemble, c’est pur, on rit tout le temps, on parle peu de choses personnelles, sûrement par pudeur. On a toujours des choses à dire à deux. Nous travaillons actuellement sur un Late Show à la télé, ça va être un feu d’artifice !
Cette « déconne » permanente vous a-telle parfois desservi ?
Bien sûr, ma mère m’a longtemps reproché de ne pas pouvoir parler sérieusement. J’ai aussi essayé d’apprendre le second degré à ma première fille alors qu’elle n’avait que quatre ans, c’est impossible à cet âge (rires). Depuis, je me suis calmé, mais je cherche tout le temps une bonne vanne, un bon mot, ça sort tout seul.
Justement, comment se déroule le processus d’écriture d’une série comme Platane. Vous vous levez tous les matins et vous vous dites « je vais écrire des trucs drôles » ?
Oui, c’est ça (rires) ! Il faut écrire tous les jours, l’humour est un muscle qui s’entretient. Mais ce n’est pas une souffrance, ça reste dans ma nature de faire de l’humour, sinon il ne faut pas faire ce métier.
Vous n’êtes donc pas adepte du « il faut souffrir pour créer » ?
L’Histoire nous montre que les grandes œuvres sont écrites par des gens torturés. Mais personnellement, je suis un être positif qui apprécie d’écrire dans le confort. Cela m’aide à avoir un regard optimal et juste sur ce qui m’entoure, plutôt que de mettre ma souffrance dans tout ce que j’observe.
Votre humour est très inspiré par la culture comique anglophone (The Office, Curb Your Enthusiasm). Pourquoi cet humour, souvent cruel avec la nature humaine, ne fonctionne-t-il pas auprès du grand public français ?
C’est une question d’héritage, parfois pesant. En France, l’auteur par excellence, c’est Molière, c’est-à-dire l’opposition des honnêtes pauvres contres les méchants riches, c’est ça qui marche chez nous. En Angleterre, ils ont Shakespeare qui ne parle que de l’humain dans son ensemble, de son ridicule, de ses contradictions. C’est ce qui me fait rire.
Ce qui est étonnant, c’est que les pubs télés que vous avez réalisées pour EDF sont populaires alors que c’est un humour 100% Platane.
Ces pubs ont été une bénédiction. C’était un trait d’union, du Platane à petites doses. Donc j’espère que le public va se précipiter vers la saison 3 (rires).
Dans cette saison, vous évoquez le plagiat dans l’humour. Avez-vous écrit là-dessus avant ou après le scandale CopyComic ?
Avant, car dans le métier, tout le monde était au courant de cela. Nous sommes tous fans d’humoristes américains, donc chacun sait qui a piqué quoi. Voler une blague est contre mes valeurs. D’ailleurs, avec Ramzy, on a fait assez de trucs pourris qui prouvent que l’on ne se sert pas chez les meilleurs (rires). Mais je trouve qu’on a été trop durs avec Gad Elmaleh et les autres. On parle de 20 minutes volées sur une dizaine d’heures de spectacle. C’est moche, certes, mais ça ne sert à rien de les brûler. Aujourd’hui, on manque parfois d’indulgence.
INTERVIEW RÉALISÉE PAR PIERRE-FRANÇOIS CAILLAUD
Platane saison tree disponible sur Canal+ et www.canalplus.com